24/02/2014

Pourquoi faut-il mentir à la poste japonaise? (Part. 1)

        
Étale de marché à Hakodate




 Deux mois. Deux mois pour choisir et rassembler ce que j'allais envoyer à ma famille en France. Les magasins japonais sont merveilleux mais peuvent se révéler être une torture pour quiconque veut envoyer un colis. Tout devient alors incontournable et fantastique. Dès lors, une fois la sélection drastique effectuée, je prends soin d'emballer toute la marchandise dans un carton lui-même momifié dans un demi-rouleau de chatterton gris.

Mais l'aventure commence ici. Et jusqu'à la fin de mon séjour je n'ai jamais pu arranger ma conscience pour passer outre cet événement fâcheux (bien que cocasse) comme je le fais habituellement. Peut-être que je juge trop durement l'employée du bureau de poste, frêle japonaise aux traits tirés par une queue de cheval lui donnant un air de surprise permanent. J'avais bien déjà remarqué sa réticence à me parler en japonais pour un envoi de recommandé :

« -フランスに書留手紙を送りたいんですが… (J'aimerais envoyer un recommandé en France svp)
 -???どこ? (De quoi, où?)
 -フランス。パリに送りたいんです。 (En France, à Paris.)
 -手紙?どんな手紙? A letter ?  (Une lettre ? De quel genre ? A letter?)
    -Oui, yes, そうです。書留。(Oui, yes, c'est ça. Une lettre en recommandé)
 -書留なに? (Une lettre, quoi?)
…. »    Finalement le message est passé, les termes étaient justes. Mais je n'ai jamais reçu l'accusé de réception.

Tout cela pour vous dire qu'avant de remettre les pied dans ce bureau, mon colis sous le bras, j'avais un mauvais pressentiment. Un truc du genre « Mais pourquoi une française veut envoyer un colis en France ? Pourquoi elle parle pas anglais comme tous les étrangers ? Est-ce qu'elle sait au moins ce qu'elle dit ?.... ». 
En allant à la poste...

Ainsi me voici au guichet, face à la même demoiselle que l'histoire du recommandé (petit détail : je n'ai jamais attendu à la poste au japon. Dès qu'un client entre, un employé se précipite derrière un guichet et vous fait signe.).
J'avais au préalable récupéré un document expliquant les différents modes d'envoi et renseigné sur la législation en matière d'exportation de produits à l' étranger. Avant Mars 2011, on pouvait presque tout envoyer du Japon. Aujourd'hui, je soupçonne La Poste française de passer les lettres et colis au compteur Geiger. Cependant aucune denrée de mon paquet ne figurait sur la liste des produits indésirables.
Je désigne alors sur le document quel genre d'envoi je désire, tout en agrémentant mes gestes de petits mots en japonais. La jeune femme me donne le formulaire adéquat sans questions ni froncements de sourcils (de toute façon sa queue de cheval lui annihile toute expression faciale).
Nom ; Adresse ; Numéro de téléphone... Le classique. Puis : Contenu du colis, nombre et prix de chaque article. Enfin, et c'est là qu'il faut avoir préparé son coup, la somme totale du contenu.
  mochi (petits gâteaux de riz gluant), graines de fleurs, album de coloriage... Ma pudeur m'obligeant à faire une petite exception pour la housse de cuvette de toilettes en moquette. Le tout écrit en japonais comme sur l'exemple.

Je reviens vers l'employée, le porte-monnaie à la main, prête à payer mon envoi et à partir. La jeune femme me demande dans sourire apparemment naturel (qui, réflexion faite, tenait plutôt du sadisme) de lui traduire le contenu du colis, histoire de vérifier si tout est licite.
BIEN SÛÛÛR, MADEMOISELLE !
Je reviens vers l'employée qui dès le premier coup d’œil me demande de le réécrire dans ma langue, en anglais. Je rectifie en lui disant que je suis française et que j'écrirai alors en français. Est-ce que ça ira, en français ?  « Oui, oui » me dit-elle d'un air mal assuré. Quelques minutes plus tard, je reviens au comptoir avec le formulaire bis. Non, apparemment ça ne va pas en français, il faut le
refaire en anglais. Je souris (en montrant peut-être un peu trop mes dents), reprends un formulaire entre mes doigts crispés et repars le remplir. 13H30. Cela fait déjà 20 minutes que je suis ici.
Comme une bonne citoyenne nippone, je joue cartes sur table et rapporte en détail tout ce que j'ai mis dans ce carton. A savoir : Auto-collants, papier à origami, gommes, bonbons,
Premières courses

Et comme dit mon grand-père devant Usual Suspect : « C'est là que l'histoire commence vraiment.» :
Je l'avais bien vue froncer subtilement ses sourcils en entendant mochi... Mais c'est à ”花種” (hanatane/graines de fleurs) que son sourire tombe. En un éclair elle tourne les talons et trottine, mon formulaire à la main vers une collègue à l'air très professionnel. Les deux discutent, ou plutôt chuchotent, leur main devant la bouche (oui comme quand on dit du mal de vous en face de vous sans que vous ne puissiez rien entendre) en me jetant des petits coup d’œil. Puis après un échange de regards interrogatifs, je les vois se diriger vers un autre collègue, et rebelote. Mêmes mains, mêmes regards interrogatifs mais avec une pointe d'inquiétude en plus. L'employée initiale revient vers moi, en me disant que les denrées alimentaires ne sont pas acceptées (adieu, mochi) et qu'il faut recommencer le paquetage.
Chouette.

Un bouquet nounours. Quand je vous dit que tout est fantastique!



La version supra-kawaï de la pomme d'amour:
                   La chocobanane! 

22/02/2014

北海道へようこそ! (Bienvenue à Hokkaidô!)

Vue depuis Moiwa San


Il faisait partie de ma liste de bonnes résolutions 2013... que j'ai remises sur celle de 2014. "Lipstick in batake"... Bien que je ne tarisse pas d'anecdotes sur mes aventures rurales, celles-ci me paraissent aujourd'hui quelque peu désuètes (Oui, 2010 est déjà complètement dépassé).
Heureusement, la vie m'a donnée nouvelle matière à écrire en m'envoyant à Sapporo dans le Hokkaidô. Afin d'achever en beauté mes années universitaires, rythmées de nuits blanches noyée dans les kanjis* plutôt que dans les mojitos des soirées étudiantes, je partis en stage six mois à l'Alliance Française de Sapporo (AFS) dans le nord du Japon en tant que chargée culturelle.

Une demi année... Trois saisons. A mon arrivée les cerisiers faisaient timidement leurs premières fleurs, à mon départ les premiers flocons tombaient sur les feuilles dorées des érables.



Désormais, Lipstick ne sera plus in batake (qui je le rappelle signifie champs en japonais), mais plutôt in Hokkaidô. Il ne sera plus question de mésaventures maraîchères mais d'anecdotes du quotidien.
De la recherche d'appartement à la session piscine municipale, il est des épreuves où parler japonais ne suffit pas. Il faut l'expérience, le vécu en plus. Ce que je n'avais pas réellement à mon arrivée a été acquis peu à peu.
Et aujourd'hui, même trois mois après mon retour en France, j'ai conservé certains réflexes nippon.



* Sinogrammes japonais